Anciennes sépultures et histoire des plantations aux Seychelles : les mémoires d’Henri Dauban redonnent vie à l’héritage mystérieux de Silhouette
Henri Dauban assis sur la véranda de la grande maison ancienne de la plantation connue sous le nom Grann Kaz, en 1958. Henri et son frère Edouard ont entièrement rénové la maison telle qu'on la connait aujourd'hui. (Fondation de la famille Dauban)
(Seychelles News Agency) - Chaque citoyen seychellois et visiteur de l'archipel de l'océan Indien, ou presque, doit se rendre ici : la célèbre plage touristique de Beau Vallon, un « filon touristique» qui longe la baie nord-orientale de Mahé, l'île la plus peuplée des Seychelles.
Chaque personne suffisamment chanceuse pour assister à la vue des derniers rayons de soleil d’un rose irisé descendant sous la ligne d'horizon à Beau Vallon aura remarqué que les rayons du soleil se reflètent sur les contours d’une île voisine, que le brouillard a enveloppé autour de ses pics montagneux accidentés.
Il s’agit de Silhouette une île qui porte bien son nom, la troisième plus grande île de l'archipel, mais la plupart de la population des Seychelles de 93.000 habitants n’a jamais mis les pieds là-bas. Elle reste donc une île mystérieuse, riche d’une centaine d'années d’histoire et de légendes.
C’est dans un restaurant situé face à la plage de Beau Vallon que j’ai rencontré la semaine dernière, l'une des descendantes de la famille Dauban qui est d'origine française. Cette famille a possédé l'île entière pendant une centaine d'années, des années 1860 aux années 1960. Regardant à travers la vitre, nous pouvions voir l'île au loin ; un point de vue complètement approprié pour mener une interview de ce type.
Laura Dauban m'a accueilli avec le sourire ; elle et son mari venaient juste de débarquer d’un avion en provenance d’Europe ce matin et étaient tous deux très fatigués du voyage. Mais Laura est une femme investie par sa mission ; dans sa valise chargée, elle a apporté avec elle un lot de livres qu'elle estime que tout Seychellois et visiteurs intéressés par l'histoire des îles devraient lire.
Laura vit actuellement à Strasbourg, en France, et travaille en tant qu' Ambassadrice britannique. Elle a passé au cours des dernières années beaucoup de son temps libre à éditer et compiler les mémoires de son parent, le regretté Henri Dauban, qui est décédé en 1991, bien avant sa première visite aux Seychelles en 2009.
La couverture des Mémoires d’Henri Dauban, qui est maintenant disponible à la Librairie Antigone dans la capitale de Victoria, et à l'hôtel Hilton Labriz sur l'île de Silhouette (Fondation de la famille Dauban) Licence photo: CC-BY |
Une famille réunie
Henri était le petit-fils d'Auguste Dauban qui avait lui-même hérité de son père, Joseph François Dauban, d’une parcelle de l'île. Puis il avait finalement acheté les neuf autres parcelles afin de prendre possession de la totalité de l'île au milieu des années 1800.
Les deux fils d'Auguste, Edouard et Charles, se sont querellés au début des années 1900 et la famille s’est peu à peu dissolue. Le fils de Charles, Richard (l’arrière-grand-père de Laura) a fait ses études et s’est installé en Angleterre. Et le fils d’Edouard, Henri, a fait ses études en France avant de finalement revenir aux Seychelles pour reprendre la plantation familiale.
En dépit du récit tragique de correspondances manquées pendant la Seconde Guerre mondiale, les deux cousins germains ont cru pendant des années que l'un et l’autre étaient morts jusqu'au milieu des années 1980, où par un pur hasard, un des membres de la famille de Laura a ramassé un journal britannique et a vu un article à propos d’Henri.
Le grand-père de Laura, le fils défunt de Richard, se précipita aux Seychelles pour retrouver Henri dans dernière phase de sa vie, mais il fut ravi d'être réuni avec sa famille, perdue de vue depuis longtemps.
Bien qu'il ait remis quelques exemplaires de son manuscrit en anglais et en français à des parents et amis, dont le grand-père de Laura, les mémoires d’Henri, ouvrage pour lequel il avait cherché un éditeur vers 1985, ne furent jamais publiés.
Lorsque le grand-père de Laura poussa cette dernière à visiter les Seychelles pour la première fois en 2009, elle a qualifié son arrivée à Silhouette comme une épiphanie.
« C’est vraiment spécial, je me suis vraiment sentie comme à la maison, c’était fou, parce que je n’ai jamais grandi dans le coin», a déclaré Laura. « J’étais censée retourner au Royaume-Uni mais je suis finalement restée ici pendant huit mois à écrire l'histoire de la famille. »
La rédactrice en chef et éditrice des mémoires d’Henri Dauban, Laura Dauban (Laura Dauban) Licence photo: CC-BY |
Les mémoires d'une vie bien remplie
Laura, qui écrivait sa propre fiction historique sur l'histoire de la famille Dauban, commença à organiser les mémoires d’Henri et à comparer la version qu'elle avait à des copies que d’autres détenaient, comme le fils d’Henri, Thomas, et un ami d'Henri, l’artiste Michael Adams.
« Je faisais cela parce que c’était un élément clé de ma propre recherche, et puis j’ai réalisé, wow, en fait, il y a là une très bonne histoire à raconter, » conta Laura.
Le livre raconte les récits les plus fascinants de la vie d’Henri, notamment sa connaissance approfondie de Silhouette, son intégration fortuite dans l'équipe de javelot britannique aux Jeux Olympiques de 1924 et de nombreuses aventures humoristiques et terrifiantes de son travail sur certaines des îles les plus éloignées et les plus belles des Seychelles.
Ses connaissances détaillées sur l'horticulture et l'histoire naturelle reflètent sa profonde curiosité intellectuelle et une vitalité presque mythique souvent trouvé parmi ces pionniers et ces explorateurs intrépides arrivant aux Seychelles.
« Henri est né en 1901 et est décédé en 1991. Il a vraiment vu les Seychelles changer... et c’est une histoire que vous ne voyez pas souvent écrite de son auteur initial », a déclaré Laura. « Il avait des opinions bien arrêtées. Il était honnête, direct et avait un franc-parler, et au moins on savait avec lui où s’en tenir. Je ne l'ai jamais rencontré, ce qui est une honte et qui me rend un peu triste, mais j’ai le sentiment de très bien le connaître. Je reconnais beaucoup de ses traits dans chaque membre de la famille. »
Curieusement, Henri a formulé également un argument très convaincant sur les raisons pour lesquelles on a cru que la plage connue sous le nom d’Anse Lascars sur Silhouette était le lieu de repos final de six navigateurs maldiviens avant l'arrivée des colons français, une revendication qui a été réfutée par les scientifiques qui ont effectué la datation au carbone sur certains des restes retrouvés dans les tombes.
Le domicile de la famille Dauban et de ses invités, notamment les frères cadets d’Henri, Pierre-et-León, photographiés vers 1908 (Fondation famille Dauban) Licence photo: CC-BY |
La création de la Fondation de la famille Dauban
« A la maison, au Royaume-Uni, nous avons obtenu des lettres écrites de tous ces personnes qui expliquent l'histoire de la famille, et chaque génération a fait un effort pour préserver non pas nécessairement ce qu'ils ont fait, mais ce qu'ils ont compris que la génération qui les avait précédé avait fait, et c'est là où réside mon rôle, » a-t-elle expliqué.
Mais malgré le fait d’avoir investi autant de temps et d'efforts à éditer les mémoires avec l'aide inestimable de Thomas, le fils d’Henri, Laura est convaincue qu'elle ne devrait pas profiter du livre, et a donc décidé de créer une fondation enregistrée au Royaume Uni appelée la Fondation de la Famille Dauban, qui collecterait tous les profits des mémoires d’Henri pour les utiliser pour des projets environnementaux aux Seychelles, éventuellement sur Silhouette-même, qui est maintenant une réserve naturelle spéciale gérée par la Société de Développement des îles (IDC), une entité appartenant à l'État qui a été mise en place pour gérer et développer les îles appartenant au gouvernement des Seychelles.
« Nous avons prélevé de la terre. C’est bon de le redonner à la terre », dit Laura. « Une des façons dont vous pouvez protéger un endroit est de connaître son histoire. »
Hantée par la Dame en Blanche ? La vieille maison de la plantation, connue sous le nom de "Grann Kaz" ou "Big House" prise en photo ci-dessus en 1901 avec une femme se tenant debout sur la véranda. Initialement construite en 1860, le premier toit de chaume a fait place à un toit de tôle et un deuxième étage a été ajouté plus tard. (Fondation de la famille Dauban) Ci-dessous, la Grann Kaz telle qu’on la connaît aujourd'hui. Il s’agit d’un restaurant créole géré par l'hôtel Hilton Labriz (Seychelles News Agency) Licence photo: CC-BY |
Etudier l'héritage des plantations et des esclaves affranchis
Pour Laura, être un membre de la famille Dauban est un privilège incroyable.
« Beaucoup de gens ne connaissent pas leurs origines ; ils ne connaissent pas l’histoire de leurs ancêtres, et je suis extrêmement chanceuse de pouvoir retourner dans les années 1830, et de trouver des lettres de correspondances entre mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père et son frère jumeau, » dit-elle.
« Une chose qui est étonnante aux Seychelles c’est que beaucoup de personnes ont des histoires incroyables, mais rassembler les récits est vraiment difficile. Tout le monde a besoin de faire quelque chose comme ça, de rechercher son histoire. Ça en vaut vraiment la peine. »
Mais est-ce un privilège, d'être issue d’une famille européenne propriétaire d’une plantation qui a bénéficié du travail d’esclaves africains affranchis, une question litigieuse pour elle en tant qu’avocate et Ambassadrice des droits de l’homme ?
Laura a répondu facilement à ma question ; indiquant que c’est une chose à laquelle elle avait déjà longuement réfléchi. En effet, elle a trouvé une chose dans une lettre écrite par son arrière-arrière- arrière-arrière-grand-père, Joseph François Dauban, qu'elle décrit comme « problématique » ; la crainte que l'abolition de l'esclavage en 1835 pourrait ruiner financièrement le beau-père Dauban.
« J’ai été vraiment troublée quand j’ai lu cela, j’ai pensé que c’était vraiment épouvantable », dit-elle franchement. « Mais lorsque je me suis intéressée de plus près à cet homme, et que j’ai vu qu'il était médecin, qu’il avait traité le choléra lors de l'épidémie et qu’il est mort parce qu'il était le seul médecin à Port-Louis, à l’île Maurice, qui a continué à traiter les gens lorsque l'épidémie a repris. Il s’est rendu partout et a traité tout le monde. Donc peu importe ce que représentait cette lettre, peut-être que c’était juste passager, peut-être qu'il voyait ses fonctions médicales différemment de son héritage, je ne sais pas. »
« Je pense que ce qui me contrarie le plus c’est quand vous entendez (les gens) dirent « vous étiez habitués à garder des esclaves au sous-sol, » ou qu’Auguste était un propriétaire d'esclaves, » a-t-elle poursuivi. « Tout d'abord, l'esclavage fut aboli quelques années après qu’il soit né en France, donc au moment où il a réussi ici, tout était fini, en tout état de cause, il n’avait donc pas d’esclaves et le sous-sol de la Grann Kaz n'était pas du tout utilisé pour abriter les esclaves, c’était pour le stockage du vin ! »
Ayant effectué une recherche plus approfondie grâce aux Archives nationales des Seychelles, Laura a trouvé des rapports établissant les conditions des esclaves affranchis et des ouvriers sur les plantations commanditées par le Bureau colonial, lorsque les Seychelles étaient encore un territoire britannique d'outre-mer.
« J’ai pensé, oh mon dieu, que va-t-on dire sur les plantations de la famille Dauban ? En fait, c’était extrêmement élogieux, et selon les dires, ils étaient mieux payés que dans toute autre plantation, ils recevaient plus de rations que partout ailleurs et ils avaient la même nourriture que les gens qui mangeaient dans la maison de la plantation. »
Hanté par les fantômes ? Le mausolée de la famille Dauban (illustré ci-dessus) (Fondation de la famille Dauban) et maintenant en 2015 (photo ci-dessous). L'impressionnant mausolée contient les dépouilles d'Auguste Dauban de son épouse Catherine et de leur premier enfant Eva qui est décédée quand elle avait à peine deux ans et demi. (Seychelles News Agency) Licence photo CC-BY |
Silhouetteet la Vierge Marie
Il est clair que Laura, passionnée par l'histoire de sa famille, est un véritable recueil pour toutes sortes d'anecdotes intéressantes transmises de génération en génération, je lui ai alors demandé de m’en raconter une.
« Il y a tellement d'histoires, mais quand je regarde l'île aujourd'hui, celle qui me vient à l’esprit est l'histoire de la mère d’Henri, » a commencé Laura. « Elle prenait un des bateaux Dauban qui reliait Mahé et Silhouette, et c’était une femme très religieuse. Elle récitait son chapelet, et elle eut soudain une vision de la Vierge Marie et cette femme n’était pas mystique du tout, et la Vierge Marie lui dit : « Comme vous m'avez accueilli sur Terre, je vous accueillerai au ciel. »
Les visiteurs de Silhouette peuvent découvrir deux sanctuaires de la Vierge Marie durant leurs randonnées sur l'île ; un sur les rochers de la Pointe Ramasse Tout, surplombant la jetée de La Passe, et un autre le long du sentier montagneux qui mène à Grand-Barbe, de l'autre côté de l'île. Les deux sanctuaires ont été mis en place par la mère d’Henri.
« Elle était tellement religieuse qu'elle avait obtenu la permission du Vatican pour lire la messe sur la véranda de la Grann Kaz chaque semaine, et ce fut avant qu’il y ait une église sur Silhouette, » a déclaré Laura. « C’était si important pour elle que les âmes de tout le monde soient sauvées, tout le monde devait venir à la messe sur la véranda de la Grann Kaz ! »
Des histoires de fantômesde l'îlede l'ombre
La vieille maison de la plantation, connue sous le nom Grann Kaz, d'abord construite par Auguste Dauban en 1860, est à présent un restaurant créole géré par le seul hôtel de l'île, l'hôtel Hilton Labriz. A l'étage demeurent quelques meubles abandonnés par la famille après que l'île ait été vendue. Laura assemble petit à petit des objets et des photographies de la famille qui pourront être utilisés pour mettre en place une exposition pour les visiteurs de la maison.
Mais selon la légende populaire, l'ancienne maison de la plantation et le mausolée de la famille Dauban situé non loin de là sont hantés par les fantômes des membres de la famille Dauban morts depuis longtemps.
« Les gens racontent énormément d’histoires sur les fantômes, et des personnes auraient aperçu ce qu’ils pensent être le fantôme d'Eva Dauban, le premier enfant d’Auguste et de Catherine, qui est toujours en train de sauter, pleurer, rire ou crier sur le lit (à l’étage)... certaines personnes disent qu'ils voient Catherine Dauban ou une dame blanche sur la propriété, » a déclaré Laura.
Mais Laura a elle-aussi une histoire personnelle de fantôme à raconter.
« J’ai dormi dans la Grann Kaz, deux fois maintenant, et la première fois que j’ai dormi là-bas, c’était toute une histoire, parce que le chef de la sécurité était dans tous ses états, disant au gérant qu'il allait devoir patrouiller toute la nuit , mais le gérant lui a dit qu'il s’agissait d’un membre de sa famille, et que si ces fantômes existaient que pourraient-ils bien lui faire ? »
« Quoi qu'il en soit, je me suis dit que tout cela était absolument hilarant, et j’ai dormi là-haut. Il faisait chaud cette nuit. Toutes les fenêtres étaient ouvertes, mais il n'y avait pas de vent et j’étais étendue très paisiblement, » a-t-elle raconté.
« Je suis allée au lit très tard et je me souviens que quand je me suis réveillée, il y avait une brise froide sur moi, donc je me suis dit, oh mon dieu, finalement le vent est revenu, c’est bien. Et puis j’ai bougé et je me suis rendu compte, que non, il n'y avait pas de vent, il faisait encore chaud, mais sur moi, c’était comme si quelqu'un respirait sur moi. »
« Mais vous savez, j’étais tellement fatiguée, et je me suis dit, si tu es fantôme, viens ici, je suis prête à en découdre ! J’étais vraiment tellement fatiguée, et au matin je fus en colère après moi-même, pensant oh non, j’aurais pu avoir une rencontre privilégiée, mais je me suis juste rendormie, quelle perdante je suis !» dit-elle amusée.
Les Mémoires d’Henri Dauban sont disponibles à la Librairie d’Antigone dans Victoria, la capitale des Seychelles, ainsi qu’à l'hôtel Hilton Labriz sur Silhouette.