Lutte contre la piraterie : « Les Seychelles ont fait un travail d’enquête judiciaire remarquable »
Véronique Roger- Lacan, Représentante spéciale en charge de la lutte internationale contre la piraterie maritime (Joena Bonnelame Seychelles News Agency)
(Seychelles News Agency) - Récemment les Seychelles ont accueilli une réunion ministérielle sur la sécurité maritime en Afrique, regroupant tous les acteurs de la lutte contre cette criminalité.
Ce sujet concerne directement les Seychelles, puisque le pays a beaucoup souffert des attaques de pirates dans la région.
Les Seychelles ont été parmi les premiers pays de la région à mener le combat contre ce fléau, en accueillant sur son sol les responsables des attaques, pour les juger.
La France était représentée lors de cette réunion par Véronique Roger- Lacan, Représentante spéciale en charge de la lutte internationale contre la piraterie maritime.
La SNA a rencontré Mme Roger Lacan pour savoir le rôle de la France dans la lutte contre la piraterie dans l’Océan Indien et dans les autres régions africaines.
SNA : quand on regarde les chiffres des attaques de la piraterie, cette année 0, l’année dernière 1 ou 2, est-ce que vous pensez que c’est la fin de la piraterie du côté de la corne de l’Afrique ?
Véronique Roger- Lacan : On n’a effectivement observé, en 2013 et, en 2014, aucune attaque réussit. Et donc est ce que c’est une tendance qui est définitive ou est-ce que la piraterie risque de recommencer. Ce qui est certain, c’est que la présence navale très intense, à la fois les 3 forces navales multinationales : l’opération Atalante, l’opération de l’Otan Ocean Shield et l’opération combat force 151, ont eu un véritable impact. Car elles ont créé ce couloir « International recognized corridor ». Ce couloir qui était quadrillé et dans chaque quadrillage, on installait un navire de guerre. Plus on avait des opérations navales nationales ; la Russie, le Japon, la Corée, la Chine, l’Inde,
En tout cas pour la chine et l’Inde, elles n’ont pas quadrillé, maisont procédé par escorte. Elles suivaient les navires battant pavillon de leur pays dans tout le couloir…
Maintenant, est-ce que cela va changer, est-ce que la communauté internationale a les moyens et la volonté de maintenir des navires de guerre, ce sont des moyens chers. Dans la région, on parle de budget de défenses et de moyens pour acquérir ce type de capacités donc on mesure à quel point ce sont des capacités chères à maintenir. Est-ce que l’on va maintenir ces capacités avec ce même quadrillage ou pas, pour l’instant l’UE et l’Otan ont renouvelé le mandat des opérations jusqu’en 2016, donc on est là, et pendant ce temps-là nous observerons la tendance pour voir si les actes vont recommencer ou pas. Alors sur cette tendance, on a 2 types d’analyses :
- Le premier type d’analyse qui observe que ces commanditaires de la piraterie ont profité aussi que ces moyens financiers qu’ils ont récoltés pour acquérir de nouvelles capacités, de nouveaux bateaux des moyens de communication, la conclusion logique serait de dire qu’ils sont en train de se préparer pour reprendre leurs activités
- D’autres analyses disent qu’ils ont gagné suffisamment d’argent et investis dans d’autres activités et que par ailleurs le gouvernement somalien qui est en train de terminer de préparer les élections qui est en train de terminer de préparer la rédaction aurait besoin d’obtenir de ces personnes-là qu’elles cessent leurs activités, car sinon la désapprobation globale va continuer à se manifester à l’égard de la Somalie. Et nous avons le sentiment que le gouvernement somalien souhaite faire de sorte que son peuple son territoire sa nation soient une nation qui fasse vraiment partie du concert international et que la Somalie ne soit pas assortie à chebab et à commanditaires de la piraterie, donc, nous comptons beaucoup sur l’engagement des autorités somaliennes à traiter cette question
SNA : Est-ce que actuellement, ça n’a pas changé au niveau de la piraterie au niveau de la corne de l’Afrique pour devenir la lutte contre la criminalité (drogue, pêche illégale)
Véronique Roger- Lacan : Ça n’a pas changé, car malheureusement, le commerce de drogue, le trafic ont toujours existé, mais il est vrai qu’aujourd’hui l’attention est aujourd’hui portée (maintenant que la question de la piraterie, c'est un peu plus stabilisé), il est vrai que les regards se tournent plus vers les autres trafics. Ils se tournent d’autant plus vers les autres trafics que la question se pose sur les commanditaires de la piraterie. Ces commanditaires de la piraterie qui ont gagné énormément d’argent pendant toutes ces années, qui ont maintenu des équipages en otages, des bateaux en otages et qui au prix de la vie de ces personnes-là ont gagné énormément d’argent.
La question est de savoir où ils sont, ce qu’ils font et s’ils recommenceront ou pas à agir. Ils sont calmes depuis 2013-2014, que font-ils ?
Ils savent que nous savons et nous savons qu’ils ont investis dans des compagnies légales ; l’immobilier, des petites compagnies d’aviation, de la distribution, mais aussi dans des activités illégales. Et donc c’est à juste titre que vous posez cette question. Trafic en tous genres : bétail, charbons de bois, drogue êtres humains, armement. C’est vrai que cette zone est une grande zone de trafic. Donc, nous sommes absolument au courant et désireux de faire de sorte que la région puisse traiter cette question-là. Et nous savons que les Seychelles ont développé un très grand savoir-faire dans ce domaine-là et il est possible que l’Afrique est besoin, et c’est spécifié dans sa stratégie de sûreté maritime qui s’appelle AIM2050 qu’elle ait besoin de capacités, de conduites des opérations sur ce type de trafic. Et si les Seychelles souhaitaient avec tout le savoir-faire qu’elles ont développé s’engager dans cette voie-là. Ce serait une possibilité et je pense que beaucoup d’États de l’Afrique en tout cas de l’Afrique de l’Est et de la communauté internationale seraient très satisfaits de ce type de développement
SNA : quand vous dites que le travail n’est pas terminé avec les Seychelles, vous sous-entendez quoi parce que la France avait déjà annoncé qu’elle comptait se retirer.
Véronique Roger- Lacan : Alors ce n’est pas uniquement avec les Seychelles, c’est avec l’ensemble de la région, vous mentionniez vous-même la criminalité maritime dans sa globalité, nous venons de parler de constitution de capacités régionales de sûreté et de sécurité maritime, voilà tout ce qui est en train de se faire. Et on voit aussi que la communauté de l’Océan Indien avec l’unité antipiraterie qui est aux Seychelles qui réunit des officiers de liaison, des membres de chaque pays, des membres de la commission de l’Océan Indien. Toutes ces organisations, l’organisation maritime internationale, nous travaillons à la constitution de capacités locales de ce type de gestion du domaine maritime.
On vient de renouveler ce mandat de ces opérations jusqu’en 2016 et c’est toujours comme cela que ça a fonctionné, des mandats de 2 ans renouvelables. Et donc nous allons réfléchir en observant la tendance pour voir quelle forme doit prendre les opérations diverses avec Eucap Nestor de l’Union européenne, cette mission de constitution de capacités régionales de sûreté et de sécurité, le code de conduite de Djibouti qui réunit dont les Seychelles sont signataires, tout ce travail qui est fait dans le cadre de la commission de l’Ocean indien pour faire de sorte que la région au cas où une crise de ce type surgirait à nouveau soit la région et les Etats de la région qui gèrent la sûreté et la sécurité dans leurs domaines maritimes dans leurs eaux territoriales, et soient capables avec les autres partenaires internationaux d’agir dans les eaux internationales, parce que c’est vrai que pour cette crise précisément c’est la communauté internationale qui a traité la crise. Les États de la région n’ont pas de capacités d’actions en hautes mers. C’est cela que l'on appelle on a encore du travail à faire ensemble.
Véronique Roger- Lacan et Geneviève IANCU ambassadeur de France aux Seychelles (Joena Bonnelame Seychelles News Agency) Photo License: CC-BY |
Geneviève IANCU : Je veux juste rajouter un point à ce que disait Véronique, mais en répondant à votre question directement. Il y avait eu dans un journal de la place toute une pleine page en disant que la France se retirait et je pense que M. Vannier faisait allusion à ça, de l’opération Atalante, ce qui était totalement faux, puisque la France ne s’est jamais retirée, je rappelle que la France était à l’origine de cette idée de cette coopération que nous avons ensuite monté avec nos partenaires européens et que nous sommes parmi les rares pays européens à avoir eu sur zone comme disent les militaires de 1 à 5 bâtiments. Donc c’est sûr que quand vous en avez 5 et que, d'un coup vous en avez 2 ou 3 ou 4, on dit à la France : la France se retire. Mais par rapport à quoi ? Vous avez beaucoup d’États européens qui auraient pu envoyer des navires et qui ne l’ont pas fait pour des raisons qui appartiennent à leurs priorités financières, budgétaires ou politiques.
SNA : La piraterie change maintenant de zone, on constate une recrudescence des opérations, mais il me semble que c’est peut-être un petit peu plus complexe dans le Golfe de Guinée parce qu'il y a plus de pays qui sont impliqués, c’est peut-être pas la source que d’un seul pays cette attaque
Véronique Roger- Lacan : C’est à la fois plus complexe et plus simple. Plus simple car nous avons affaire à une zone de souveraineté totale, en, somalie et au large de la Somalie l’Etat avait été qualifié de faillite et donc les résolutions successives du conseil de sécurité ont donné autorisation aux opérations navales d’agir dans les eaux territoriales de la Somalie. Là, nous avons affaire à des États souverains qui ont la gestion de leurs eaux territoriales et notre objectif est de soutenir les politiques qu’ils mèneront pour mettre en œuvre eux même les résolutions du conseil de sécurité 20180 et 2039 qui ont été adoptées respectivement en 2011 et en 2012 et qui appellent aux Etats de la région à tout mettre en œuvre pour traiter le problème.
Les chefs d’État des gouvernements du Golfe de Guinée se sont réunis à Yaoundé en juin 2013, et ils ont adopté un code de conduite sur la sûreté et la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée et au titre de ce code de conduite ils se sont engagés à prendre des mesures de travail conjoint dans le domaine de la prévention de cette criminalité maritime, dans le domaine de la gestion navale, donc l’idée c’est qu’ils soient en mesure de mettre en place des patrouilles communes…
La question n'est pas simple ... Le phénomène est en train de prendre de l’ampleur, les pirates opéraient avant essentiellement dans le vol de pétrole dans les eaux territoriales surtout nigérianes. Là, juste avant que nous ne prenions l’avion pour venir aux Seychelles, un navire battant pavillon Grec a été attaqué et le second Grec a été tué, trois autres membres d’équipage ont été pris en otage. … ce genre de faits prend de l’ampleur. Nous-même Français nous avons en juillet 2013 un navire battant pavillon français qui a été attaqué avec 2 membres de l’équipage français qui ont été pris en otage et nous avons une opération navale qui s’appelle Corimbe et qui opère dans la zone depuis 1990 et c’est cette opération qui a été utilisée pour aller secourir ces 2 marins et les libérer. Donc au bout d’une semaine, ils ont été libérés. Tout ça pour vous dire que pour nous Français, à partir du moment où on a eu une attaque contre un navire battant pavillon français, des otages Français c’est une vraie question de sûreté et de sécurité pour nos ressortissants et nos compatriotes
Autre journal- Télévision nationale : est-ce que vous croyez que les autres pays de la Région peuvent faire comme les Seychelles ou pour juger les coupables
Véronique Roger- Lacan :: Les autres pays de la région ont fait aussi. L’union européenne quand elle a mis en place l’opération Atalante de lutte contre la piraterie maritime a signé des accords de transfert avec le Kenya, la Tanzanie, les Seychelles et récemment avec l’Île Maurice. C’est un fardeau qui est partagé, mais c’est vrai que nous devons mettre en valeur le travail qui a été accompli par les Seychelles qui ont fait un travail d’enquête judiciaire remarquable sur lequel nous devons capitaliser. Car aussi c’est aux Seychelles que la filière a été remontée jusqu’aux Commanditaires de la piraterie et que des mandats d’arrêt internationaux ont été délivrés contre ces commanditaires.
Et c’est ce qui est stratégique parce que c’est bien de juger les pirates qu’on arrête sur les bateaux, mais on sait très bien qu’eux c’est la main d’œuvre à bon marché des commanditaires qui eux restent dans leurs belles maisons climatisées et construites avec l’argent des rançons, qui ne prennent pas de risque pour leur vie et qui ramassent l’argent collecté grâce à ces jeunes gens.
Ces jeunes gens dont on ne peut dire que s'ils avaient du travail et un avenir économique que peut-être ils ne s’engageraient pas dans ce type d’activité.
Les Seychelles ont donc fait un travail remarquable sur les commanditaires et il y a d’autres procès en cours dont celui du commanditaire numéro qui s’appelle monsieur Affouéné qui est jugé en ce moment en Belgique. Et c’est important que ce travail-là soit effectué. Parce que c’est comme ça que la piraterie prendra une fin et que l’on pourra passer à un autre registre que celui de la gestion de la crise.