En Somalie, l'offensive anti-shebab à l'arrêt
Des agents de sécurité patrouillent près de l'hôtel Hayat détruit après un siège meurtrier de 30 heures par les djihadistes d'Al-Shabaab à Mogadiscio, le 21 août 2022. (Photo Hassan Ali ELMI / AFP)
(AFP) - Après des progrès notables, l'offensive lancée par le gouvernement somalien contre les islamistes radicaux shebab marque le pas ces derniers mois, suscitant des interrogations sur la capacité des autorités à briser l'insurrection menée depuis 16 ans par ce groupe affilié à al-Qaïda.
. Pourquoi l'offensive est-elle en pause ?
Déterminé à mener une "guerre totale" aux shebab, le gouvernement somalien a saisi l'occasion d'une révolte de clans locaux pour lancer une offensive dans le centre du pays en août 2022.
Soutenu par la communauté internationale, le gouvernement contrôle essentiellement les villes, dont la capitale Mogadiscio. Les shebab restent implantés dans de vastes zones du sud et du centre.
Durant six mois, l'armée et des milices claniques - avec l'appui aérien de la force de l'Union africaine (Atmis), des Etats-Unis et de drones turcs - ont repris de vastes territoires, s'emparant notamment de bastions islamistes à Adan Yabal et Harardhere (centre).
Cette progression s'est ensuite enlisée, les shebab tirant notamment profit de la mort au combat d'un commandant majeur de l'offensive, de l'arrivée de troupes peu expérimentées et d'une moindre implication des clans, acteurs cruciaux de l'avancée des premiers mois.
Pour relancer les opérations, le président Hassan Cheikh Mohamoud s'est déplacé dans la ville de Dhusamareb, assurant le 18 août que les shebab seraient "éliminés de l'ensemble du pays" d'ici la fin d'année.
Mais le 26 août, les forces somaliennes ont essuyé une cinglante défaite dans la localité de Cowsweyne, dans des circonstances jamais rendues officielles.
"Il n'y a aucun autre endroit où les forces gouvernementales ont subi de telles pertes", a reconnu une semaine plus tard Hassan Cheikh Mohamoud, sans évoquer de bilan.
Différentes sources font état de plusieurs dizaines, voire plus d'une centaine, de militaires tués et d'une large quantité de matériel saisi.
Cette déroute, qui a révélé des failles logistiques et de commandement, a marqué un tournant.
"La riposte gouvernementale a été si désordonnée, que d'autres forces se sont retirées de plusieurs villes en signe de protestation. Le moral des troupes était très bas", raconte une source avertie des questions de sécurité. Depuis lors, l'offensive est à l'arrêt.
. Les shebab sont-ils affaiblis ?
Gouvernement et shebab sont engagés dans une guerre de communication. Aucun bilan indépendant n'est disponible.
Le gouvernement fait valoir les territoires et le nombre de localités repris. Mais "utiliser les gains territoriaux pour mesurer le succès contre les shebab est insuffisant dans une guerre de type guérilla", souligne Omar Mahmood, analyste à l'International Crisis Group.
Le groupe islamiste, dont les effectifs étaient estimés entre 7.000 et 9.000 hommes par l'Atmis en 2022, a conservé sa force de frappe.
Malgré l'offensive, "le groupe est parvenu à accélérer le rythme de ses opérations, notamment en menant des attaques complexes", relève le groupe d'experts de l'ONU pour la Somalie dans son rapport du premier semestre 2023.
Les experts ont recensé 14 attaques de ce type entre janvier et août (contre 4 sur l'année 2022), dont l'une des plus significatives contre une base de l'Atmis à Bulo Marer a tué au moins 54 soldats ougandais en mai.
Les renseignements somaliens ont récemment fait état de tensions internes au sein des shebab, entre partisans de l'"émir" Ahmed Diriye et d'un de ses lieutenants, Mahad Karate.
Mais "ce n'est pas confirmé" et "ils mènent leurs offensives de manière efficace, ils sont unis sur le champ de bataille", relève Samira Gaid, directrice exécutive de l'Institut Hiraal, groupe de réflexion spécialisé sur les questions de sécurité basé à Mogadiscio.
. Quel avenir pour ces opérations ?
Malgré les revers, le gouvernement affiche sa détermination à garder le cap, avec l'objectif d'engager une deuxième phase dans le sud du pays, fief historique shebab.
Mais "une deuxième phase précipitée risque de compromettre les succès obtenus jusqu’à présent", ont prévenu les experts de l'ONU. Un redéploiement vers le sud de forces combattant au centre du pays "laisserait probablement cette dernière région vulnérable et sans protection suffisante", estiment-ils.
"La logique (gouvernementale) est qu'en divisant les fronts, les shebab seront plus faibles. Mais le gouvernement le sera aussi", estime Samira Gaid.
La participation militaire promise par les voisins kényan, éthiopien et djiboutien à cette deuxième phase baptisée "opération Lion Noir" reste incertaine.
Les difficultés de l'armée somalienne ont en outre conduit à suspendre le processus de retrait des plus de 17.000 soldats de l'Atmis, prévu jusqu'à fin 2024. Après 2.000 hommes fin juin, 3.000 autres devaient quitter le pays fin septembre.
La saison des pluies d'octobre à décembre, amplifiées par El Niño, "oblige à une pause", note Samira Gaid: "Les shebab ont le temps de récupérer, mais le gouvernement a également la possibilité de se réorganiser et d'élaborer une stratégie appropriée pour mener à bien son offensive".
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