Aux portes de la capitale malgache, la colère bout dans les rizières
Pour tenter de désamorcer la fronde, le gouvernement a suspendu les travaux le temps d'une "concertation" et promis d'ouvrir son portefeuille pour indemniser plus de 700 familles à hauteur totale de 18 millions d'euros. (Mamyrael / AFP)
(AFP) - "Touche pas à nos rizières". Le ton est ferme, à la mesure de la détermination des habitants du village d'Ambohitrimanjaka. Non, ils ne quitteront pas leurs rizières pour faire un peu de place à la capitale malgache Antananarivo qui étouffe.
Ce jour-là, ils sont des centaines à jouer des épaules devant une escouade de policiers et de gendarmes pour le répéter haut et fort, à grands renforts de banderoles.
"On n'échangera pas nos terres contre de l'argent, on n'acceptera pas non plus de déménager parce que la rizière a fait vivre nos ancêtres", lâche avec assurance un des manifestants, Jean Désiré Rakotoariamanana, 57 ans.
Au cœur de la révolte, il y a la volonté du président Andry Rajoelina de déplacer de quelques kilomètres une partie d'Antananarivo et de ses 3 millions d'habitants, corsetés entre des collines qui compriment leurs déplacements, leur respiration et, au final, leur développement.
Le candidat Rajoelina en avait fait une des promesses-phare de sa campagne électorale victorieuse fin 2018.
Baptisé "Tana Masoandro" ("Tana Soleil" en malgache), le projet prévoit d'installer d'ici cinq ans à Ambohitrimanjaka tous les ministères et le Sénat, d'y construire une université, un centre de conférences, des hôtels et d'y loger 100.000 personnes.
D'un coût annoncé à 540 millions d'euros, la construction de cette ville nouvelle devrait permettre de créer 200.000 emplois, a promis le chef de l'Etat. Un coup de fouet inespéré à l'économie d'un des pays les plus pauvres de la planète.
Mais pour la construire, il faut remblayer quelque 1.000 hectares de rizières situées au nord-ouest de la capitale et donc exproprier les quelques centaines de familles qui y vivent.
- Tana étouffe -
Pour ses promoteurs, "Tana Soleil" est une nécessité absolue.
"Antananarivo a été bâtie pour accueillir 300.000 à 500.000 habitants, mais aujourd'hui elle en compte 3.250.000", explique le conseiller présidentiel et gestionnaire du projet, Gérard Andriamanohisoa. "Ce nombre devrait doubler dans les quinze prochaines années selon les projections de l'ONU."
Cette croissance folle, les Tananariviens en subissent les effets tous les jours. Embouteillages monstres, inondations des bas quartiers, amoncellement des ordures...
La pollution atteint déjà des sommets dans la mégapole. Le 15 octobre, une ONG a relevé dans l'air des taux de particules fines près de dix fois supérieurs - 232.8 ug/m3 pour 24 heures pour une norme de 25 ug/m - aux standards de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Sans surprise, l'ONG a mis en cause "la pollution automobile et les feux de brousse".
L'argument de la qualité de l'air n'a eu toutefois que peu d'effet sur les populations visées par le projet. Pas plus que les offres présidentielles de déménagement à Bevoay à... 700 km de là.
“Si vous avez une rizière d'un hectare, en contrepartie, comme on parle de riz, allez, je vais vous donner 5 hectares à Bevoay", a proposé Andry Rajoelina à la télévision.
"On ne s'oppose pas au développement et au progrès, mais que le président installe son projet ailleurs que sur nos terres", lui répond un des producteurs de riz menacés, Dada Leba, 60 ans, "ce n'est pas le terrain qui manque à Madagascar !"
"Si on nous enlève nos terres, on n'aura plus rien pour vivre. Ce sont les rizières qui assurent notre survie", renchérit un de ses voisins, Dédé Antsahamarina, 60 ans. "Cette ville nouvelle promise par le président Rajoelina n'est pas faite pour les paysans sans diplôme comme nous."
- 'Malédiction' -
A ces arguments économiques, certains habitants se sont empressés d'ajouter des contraintes historiques.
"C'est le roi Andrianampoinimerina (1745-1810) lui-même qui a attribué ces rizières à nos ancêtres et nous a légué la lourde responsabilité de les cultiver", professe Dada Leba. "Aller à l'encontre de la volonté de ce roi sage attirera la malédiction sur le président", ajoute-t-il, un rien menaçant.
Jusque-là, les paysans d'Ambohitrimanjaka sont restés inflexibles et la tension monte aux portes de la capitale.
Mi-octobre, de violents incidents y ont opposé les forces de l'ordre à des manifestants qui contestaient la construction d'un pont. Bilan cinq blessés, dont quatre gendarmes.
Pour tenter de désamorcer la fronde, le gouvernement a suspendu les travaux le temps d'une "concertation" et promis d'ouvrir son portefeuille pour indemniser plus de 700 familles à hauteur totale de 18 millions d'euros.
"Nous allons mettre en place des mesures d'accompagnement pour la reconversion professionnelle des paysans ou le transfert de leur activité", assure M. Andriamanohisoa.
Le chef de l'Etat a lui-même dépêché des émissaires sur place pour tenter de convaincre la population.
Sans grand effet pour l'instant, semble-t-il. Un groupe de réfractaires d'Ambohitrimanjaka envisage même sérieusement de porter l'affaire devant la justice.
La bataille des rizières de "Tana" ne fait sans doute que commencer.
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