Chine: le commerce de l'ivoire a de la défense à revendre
Archives: La Chine veut bannir tout commerce de l'ivoire (STRINGER / AFP)
(AFP) - "C'est bientôt la fin! Pourtant, l'ivoire c'est notre culture", grince la vendeuse d'un magasin pékinois devant des défenses d'éléphant ciselées. La Chine veut bannir tout commerce de l'ivoire, mais l'application s'annonce ardue dans un pays miné par les transactions illégales.
Dans plusieurs boutiques feutrées d'un marché d'artisanat de luxe du sud-est de Pékin, s'alignent des centaines de sculptures d'un blanc laiteux.
A côté de petites figurines, des défenses entières soigneusement ouvragées représentent la divinité bouddhiste Guanyin, vendue 100.000 yuans (13.540 euros), ou un mythique général à cheval, huit fois plus cher.
"Très bientôt, on ne pourra plus vendre ça" alors que "la sculpture sur ivoire est partie intégrante de notre patrimoine" depuis des siècles, s'agace la commerçante, une trentenaire s'exprimant sous couvert d'anonymat.
La Chine, premier marché mondial de l'ivoire, a annoncé fin décembre que la vente et la transformation d'objets en ivoire seraient entièrement interdites d'ici fin 2017.
Les 34 ateliers de sculpture et 143 magasins répertoriés devront cesser leur activité, dont certains dès le 31 mars, a précisé le gouvernement, disant vouloir enrayer le carnage des pachydermes africains.
Rappelant qu'entre 20.000 et 30.000 éléphants sont massacrés chaque année pour leur ivoire, le WWF (Fonds mondial pour la nature) applaudit "le calendrier de Pékin pour sauver les éléphants de l'extinction".
"C'est une décision capitale qui peut changer la donne", abonde auprès de l'AFP Susan Lieberman, vice-présidente de la Wildlife Conservation Society (Etats-Unis). "Les collectionneurs vont réaliser que c'est un mauvais investissement. S'ils risquent une amende, ils hésiteront", estime-t-elle.
"Bien sûr, on ne pourra pas empêcher des gens d'accumuler des stocks, mais les volumes d'ivoire en circulation vont nécessairement reculer", confirme Zhou Lulu, de l'ONG internationale The Nature Conservancy.
- 'Laxisme' face au trafic -
Un enthousiasme teinté de prudence: "Il est impératif que l'interdiction soit appliquée très strictement" pour tarir les débouchés du commerce illégal, insiste Aron White, de l'Environmental Investigation Agency (EIA).
Environ 800 affaires de contrebande d'ivoire sont découvertes en Chine chaque année, selon les douanes, et le trafic alimente les magasins homologués: "La supervision est très laxiste", note M. White.
"L'ivoire de contrebande est +blanchi+ dans les boutiques légales: si on ferme magasins et ateliers, on porte un coup aux trafiquants", tempère Mme Lieberman.
La Chine a interdit l'importation en 2015, mais permettait encore la revente d'ivoire acheté avant 1989, conformément à la Convention sur le commerce des espèces menacées (Cites).
En réalité, une grande partie des sculptures en boutique ne proviennent pas de ces "stocks" autorisés mais de la contrebande.
La commerçante pékinoise le reconnaît à demi-mot: "Un grand nombre d'éléphants meurent chaque année. Si on ne récupérait pas leurs défenses pour faire des oeuvres d'art, elles pourriraient", justifie-t-elle.
L'ivoire est très recherché en Chine, où les objets ciselés --scènes bouddhistes, sceaux ou paires de baguettes-- sont prisés des collectionneurs.
Cette fascination pourrait pousser des amateurs à acquérir des pièces sous le manteau, faisant s'envoler les prix et enrichissant les trafiquants, qui disposeront alors d'un "monopole", s'inquiète l'ONG Traffic.
- 'Message brouillé' -
En outre, Hong Kong --qui n'entend cesser le commerce de l'ivoire qu'en 2021-- "pourrait devenir une plaque tournante pour blanchir l'ivoire du trafic via le négoce licite", avertit une responsable du WWF, Cheryl Lo.
Défenses et cornes de rhinocéros sont également proposés ouvertement dans les régions frontalières du Vietnam, du Laos et de Birmanie, et l'EIA a récemment filmé au Japon quatre négociants d'ivoire cédant leur marchandise à des acheteurs chinois.
Autre cause d'inquiétude: la Chine continuera d'autoriser des ventes aux enchères de "reliques culturelles" en ivoire.
Cette formule pourrait désigner aussi bien des antiquités que des oeuvres d'art: "l'ambiguïté pourrait saper l'efficacité de l'interdiction et brouiller le message", s'alarme Aron White.
"Oh, les paroles du gouvernement! Ca ne servira pas à grand chose", sourit d'ailleurs un autre vendeur pékinois.
La première commerçante, elle, se dit prête à se rattraper sur les pièces sculptées dans des défenses de... mammouth, venues "de Russie ou de Mongolie", et dont certaines trônent déjà dans ses vitrines.
Au final, seule la sensibilisation des citoyens pourra tarir la demande, en leur rappelant le massacre des éléphants via des campagnes animées par des célébrités, estime Zhou Lulu. "La plupart des acheteurs ignorent que c'est à ce prix-là qu'ils peuvent profiter de l'ivoire".
jug/bar/laf