A Anjapaly, "capitale malgache de la faim", on mange des cactus
Archives Une jeune malgache transporte de l'eau (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
(AFP) - Avec son ruban noir sur son chapeau de paille, Karaniteny porte le deuil de sa fille Vahana, décédée en octobre à 10 ans à Madagascar où la sécheresse fait des ravages. "Elle avait avalé des feuilles et des fruits de cactus rouge. On n'a rien d'autre à manger".
L'année 2016 a été la plus chaude jamais enregistrée sur Terre, depuis le début des relevés de températures en 1880, ont annoncé mercredi l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et l'Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA). Et il s'agit du troisième record annuel consécutif.
Conséquence de la chaleur et de la sécheresse: dans le Grand Sud malgache, près d'un million de personnes souffrent de la faim et ont besoin d'une aide alimentaire urgente, selon le Programme alimentaire mondial (Pam).
Cette région, la plus pauvre du pays, connaît depuis des décennies des épisodes de sécheresse récurrents. Mais la situation a été aggravée récemment par l'anomalie climatique El Nino et les habitants en sont réduits à des solutions extrêmes.
"Les marmites, les cuillères, les assiettes, les vêtements, la natte et même les bidons d'eau, j'ai tout vendu pour acheter du manioc. Mais au final, ça reste trop cher pour nous", raconte Karaniteny.
"Alors, parfois, on ne mange que des feuilles et des fruits de cactus. Ma fille Vahana a eu la diarrhée et elle a vomi en même temps". Puis elle a succombé.
Deux des 12 enfants de Karaniteny sont partis en ville pour fuir la faim. "Ils ont emmené leur misère avec eux", confie cette quadragénaire, contrainte de prendre en charge son petit-fils.
A quatre ans, il en paraît seulement deux. Amaigri, le ventre gonflé, il porte les stigmates de la malnutrition. Sa grand-mère l'allaite car sa mère est elle aussi partie pour tenter de gagner un peu d'argent.
- 'Il n'y a plus rien' -
"Les conséquences du +kere+ (la faim en malgache), c'est qu'il n'y a plus beaucoup de monde ici aujourd'hui", explique Tolia Bernard, le maire d'Anjapaly, une commune de 20.000 habitants.
"Beaucoup ont fui. Selon la coutume, il est interdit de quitter notre village. Mais on est obligé de partir car il n'y a plus rien", poursuit-il. "Les enfants ne vont plus à l'école faute de nourriture. Ce sont eux, avec les personnes âgées, les plus touchés par le +kere+", qui aboutit à des diarrhées et des vomissements, la faim poussant les gens à ingérer des plantes et d'autres substances qu'ils ne devraient pas manger.
A une centaine de kilomètres de là, dans la commune côtière d'Andranobory, Sarah-Esther, 50 ans, tente de nourrir dix enfants à charge, ceux de son frère qui a quitté la région pour tenter de gagner sa vie.
"Je vends un peu de sel chaque semaine au marché pour 1.000 ariary (0,3 euro). Avec l'argent, j'achète deux gobelets de riz", dit Sarah-Esther. Pas de quoi nourrir sa famille.
En raison de la sécheresse, les paysans ont perdu 80% de leurs récoltes en juin dans les sept districts les plus touchés de l'île de Madagascar, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Dans la région du Grand Sud, l'accès à l'eau potable se trouve au mieux à des heures de marche, au pire à des jours. Résultat, le bidon de 20 litres d'eau se vend entre 500 et 1.500 ariary (entre 0,14 euro et 0,4 euros), 25 fois plus cher que dans la capitale Antananarivo.
Alors à l'arrivée mi-décembre des premières pluies après plus de cinq mois de sécheresse, les habitants se sont jetés sur les mares d'eau stagnante formées dans de gigantesques nids de poule.
- Manque de fonds -
"C'est avec cette eau là qu'on prépare à manger. Elle nous rend malade, mais on ne trouve rien d'autre", explique Manankay, une mère de famille venue s'approvisionner dans ces flaques.
Selon le PNUD, au moins 800 infrastructures hydrauliques comme les puits, forages, impluviums et barrages doivent être construits ou réhabilités dans le Grand Sud.
Face à la situation actuelle très difficile, les acteurs humanitaires et l'Etat malgache se mobilisent. Le Pam distribue de la nourriture. Mais le maire d'Anjapaly ne cache pas sa frustration. L'agence onusienne "n'envoie des dons qu'une fois par mois" dans la commune, se plaint-il.
Le Pam se défend en expliquant faire des distributions mensuelles dans toutes les zones d'intervention. Mais reconnaît manquer de fonds. "Au vu de nos ressources, on ne distribue qu'une moitié de ration", soit 1.100 kilocalories par jour et par personne, explique l'un de ses responsables à Madagascar, Jean-Luc Siblot.
"L'aide humanitaire permet de sauver des vies mais elle ne permet pas de prévenir les crises", récurrentes dans la région, estime la représente du PNUD, Violet Kakyomya.
Pour l'année 2017, le PNUD a débloqué 1,5 million de dollars (1,4 million d'euros). Une goutte d'eau. Il faudrait 189 millions de dollars sur trois ans (177 millions d'euros) pour aider le Sud malgache à se développer et résister plus efficacement au "kere", selon l'institution onusienne.